Voila,je sors de la projection du Labyrinthe de Pan.
Je suis encore sous le coup de l'émotion.Désolée,je vais etre longue.
La deuxième claque cinematographique après Le nouveau monde.Le labyrinthe de Pan est pour moi un chef d'oeuvre.J'ose le mot.Je pense sincèrement que c'est un film qui parlera d'abord à tous ceux qui ont revé,qui revent et à qui l'imagination ne fait pas defaut.Ils comprendront alors le personnage d'Ofélia,cette enfant à qui on a envie d'ouvrir les bras pour qu'elle ne souffre plus.
Visuellement,c'est beau.Très beau.Le monde réel semble terne et brutal.Il y a du sang,de la violence et des larmes.Dans le monde imaginaire,les couleurs sont un peu plus chaudes,mais si peu...l'horreur y est tout aussi presente.
C'est en apercevant un insecte que la petite Ofélia,sourire aux lèvres,annonce à Carmen,sa mère au regard triste,qu'elle a vu une fée.Plusieurs livres dans les bras de l'enfant,des contes.Sa mère la met en garde : elle trop grande,desormais,pour continuer à se nourrir l'esprit avec ce genre de litterature.Avec sa mère qui supporte mal sa grossesse,elle arrive dans le Nord de l'Espagne.Là,elle y rencontre son beau-père,le Capitaine Vidal.Lui est d'une exactitude effrayante : sa montre à la main,il ne tolère pas le moindre retard,pas plus qu'il n'accepte ce qui est different.Il reprimandera l'enfant qui lui tend la main gauche pour le saluer.
Il y a là un medecin,et surtout une jeune femme dont Ofélia va spontanement se rapprocher,Mercedes.Tous deux sont en danger :ils font partis des resistants.Cotoyer de si près Vidal et ses sbires equivaut à se jeter dans la geule du loup.
Si elles sont venues là,c'est pour se rapprocher de cet homme,le capitaine,à la fois le mari et le père.Mari accepté pour des raisons que nous ne connaitrons pas,mais qu'il est aisé de deviner .La solitude.Père qu'Ofélia refuse.Le sien est mort à la guerre.Jamais elle ne l'appelera "papa",il sera juste "le Capitaine",quand bien meme sa mère lui repetera,litanie atroce,qu'il est son père,qu'il merite le respect,qu'il est un homme bon.Cette repetition laisse à penser que Carmen elle-meme s'en persuade.
Lui ,Vidal,recherche les derniers resistants,ces gens qui sont pour lui une abomination,aux idées d'un autre monde.Les quelques mots qu'il prononce à table le montre : lui et son fils sont le futur terreau d'une Espagne belle et pure.Son fils est son cadeau.On devine qu'il lui transmettra les valeurs que son père,presence invisible mais pourtant si forte, a mis en lui.
Quand l'insecte de la foret rejoint Ofélia à la nuit tombée,prenant l'apparence d'une fée aux couleurs vertes,l'enfant n'hesite pas à la suivre.La fée l'emmène dans le labyrinthe,un labyrinthe de vieilles pierres et d'arbres morts.Là,elle y decouvre un Faune qui faisait corps avec ces ruines,un faune grand et vieux,qui la reconnait pour ce qu'elle est : la Princesse Moana,qui a fuit son royaume,poussée par la curiosité de decouvrir le monde des humains.Il l'attend là depuis une eternité.Elle aura trois epreuves à accomplir,toutes plus terrifiantes les unes que les autres,pour rejoindre sa famille et son monde.
Le réel et l'imaginaire,voila de quoi parle le film exactement.Une réalité dure,ou on tue et torture sans aucune arrière-pensées.Et un imaginaire qui n'est guère mieux : ses habitants devorent litteralement,que ce soit la viande,les arbres ou les enfants.
Pan lui meme est tout d'ambiguité : il peut etre plaisant,doux,enjoleur et rassurant.Mais parcequ'il est un faune,il peut etre aussi effrayant,dur et calculateur.Jusqu'à la toute fin,ses réelles intentions restent floues.
Que tout cela soit fantasmé importe peu : le constat est que l'imaginaire ne gagnera jamais face au réel.Mais qu'il est necessaire de rever.Que les vrais monstres ont un visage humain.Le Pale Man et Vidal se ressemblent : tout deux sont marqués par le temps qui passe,qui devore.L'un est militaire,l'autre est mythologique,tous les deux sont inhumains.L'allusion à la peinture de Goya "Saturne devorant ses enfants" est criante dans le lieu ou "vit" le Pale Man.Ce sont des ogres,dans leur essences la plus pure.Mais Vidal est pire que ça : c'est une machine,reglé comme une horloge,totalement fermé à l'imaginaire (un certain plan le confirme parfaitement),une metaphore à lui seul du fachisme,qui ferme les barrières,qui interdit l'ouverture.
Il y a une alternance entre le réel (la traque des resistants)et l'imaginaire (Ofélia et ses differentes epreuves),qui s'oppose mais se rejoignent,avec une force rarement vue (par moi) au cinema :harmonie magnifique.C'est cruel,horrible (la fameuse scène de la bouteille ecrasée sur le nez) ,terrifiant (la scène du Pale Man,intense et febrile).
On y parle de l'innocence pervertie,de la transmission,l'amour fraternel (Mercedès faisant tout ce qui est en son pouvoir pour aider son frère,ou Ofélia parlant au sien à travers le ventre de sa mère : quand tout cela sera terminé ,lui promet-elle,il sera un Prince dans son royaume.Scène poignante) ,le mal et ses differentes formes.
Le besoin de rever pour echapper à une réalité monstrueuse.Mais on peut y lire,egalement,une metaphore sur le passage de la vie à la mort,la mort comme la seule liberation du mal,qui se repercute dans une scène totalement magnifique,un vrai crève-coeur,ou Del Toro confirme qu'il est un cineaste de l'emotion pure,d'une sensibilité desesperée.Un film qui fait appel au coeur.On entre dans ce labyrinthe et on s'y attache,jusqu'à la fin ,ou Del Toro poursuit la logique de son histoire,sans aucunes concessions.Cette fin,je le repete, est tout simplement bouleversante.
Le réel et le fantasmagorique sont inconsciamment liés.Melange de violence et de subtilité,rempli de symbolismes,Del Toro soignant ses plans jusqu'au moindre details.Sans parler de la musique,belle et touchante,accord parfait pour cette fantasmagorie dechirante,à la fois fable politique et conte desenchanté.Tenebreux et féerique.Un film d'une force emotive hallucinante.
Le film a d'autant joué pour moi,parceque Pan est un personnage qui a beaucoup compté dans mon univers enfantin : je suis definitivement in love.
.C'est l'une des plus belles creatures du bestiaire cinematographique.